Argumentaire

En 2024 et 2025, nous célébrerons les 30 ans de la Conférence sur la Population et le Développement du Caire (CIPD, 1994) et de la Conférence Mondiale de la Femme de Beijing (1995) qui ont permis la reconnaissance des droits sexuels et reproductifs :

« Ces droits reposent sur la reconnaissance du droit fondamental de tous les couples et des individus de décider librement et avec discernement du nombre de leurs enfants et de l’espacement de leurs naissances et de disposer des informations nécessaires pour ce faire, et du droit de tous d’accéder à la meilleure santé en matière de sexualité et de reproduction. Ce droit repose aussi sur le droit de tous de prendre des décisions en matière de procréation sans être en butte à la discrimination, à la coercition ou à la violence, tel qu’exprimé dans des documents relatifs aux droits de l’homme. » (Nations Unies, 1995, p. 38‑39).

Afin de rendre effectifs ces droits, le Programme d’Action du Caire (PAC), signé par 179 Etats, avait pour but d’orienter les politiques publiques nationales sans toutefois prendre un caractère contraignant (Gautier et Grenier-Torres, 2014). Il s’agissait notamment de développer une offre globale en santé sexuelle et reproductive permettant aux individus d’accéder à l’information nécessaire au développement d’une vie sexuelle épanouie, aux méthodes de planification familiale, au dépistage et au traitement des infections sexuellement transmissibles (IST, particulièrement le VIH) et à des services de santé maternelle (Gautier et Grenier-Torres, 2014). L’accent était également mis sur la promotion de l’égalité entre les sexes, à travers l’émancipation des femmes et des filles, condition jugée indispensable à l’effectivité des droits sexuels et reproductifs (Nations Unies, 1995 ; Natividad, Kolundzija et Parker, 2014).

En 2014, à l’occasion des 20 ans du PAC, c’est un bilan plutôt mitigé qui a été dressé (Gautier et Grenier-Torres, 2014). Si des progrès en termes d’accès aux services de santé maternelle et au dépistage et au traitement des IST ont été observés, les chercheur·ses ont souligné un manque de volonté politique nécessaire au développement de services en santé sexuelle et reproductive, qui s’est inscrit dans un retour des forces conservatrices et du développement de l’économie de marché néolibérale incitant à réduire les dépenses étatiques (Berer, 2014 ; Natividad, Kolundzija et Parker, 2014). Constatant le peu de progrès réalisés dans ce domaine, le secrétaire général de l’ONU a décidé de reconduire les objectifs du PAC jusqu’à ce qu’ils soient atteints (Nations Unies, 2014).

Trois décennies plus tard, dans un contexte marqué par des avances majeures, notamment en termes de recours à la contraception (United Nations, 2019), mais aussi de reculs, comme l’infirmation de l’arrêt Roe v. Wade aux Etats-Unis rendant l’avortement illégal dans une vingtaine d’Etats (The New York Times, 2022) ou l’introduction de politiques d’encouragement à la natalité au Japon (Mesmer, 2023), qu’en est-il de l’effectivité de ces droits à travers le monde, et quelles perspectives futures sont à envisager ? A travers l’organisation d’un cycle de conférences sur l’année universitaire 2024-2025 (voir le programme à titre indicatif ci-dessous), et de plusieurs évènements tels que la projection de films et l’interventions d’artistes et d’acteur∙rices de la société civile engagé·es dans la promotion des droits sexuels et reproductifs, nous aborderons notamment les points suivants :

·         Le consensus trouvé lors du PAC à propos de l’avortement, qui consiste à ne pas promouvoir la légalisation de l’avortement mais à inciter les Etats à offrir des services de soins post-avortement (Nations Unies, 1995), n’a-t-il pas conduit à une lente remise en cause de ce droit, y compris dans les Etats où il était déjà légal ?

·         Si la définition des droits sexuels et reproductifs mentionne que « tous les couples et d[l]es individus [ont le droit fondamental] de décider librement et avec discernement du nombre de leurs enfants et de l’espacement de leurs naissances », force est de constater qu’à travers cette formulation il s’agit davantage de donner accès à la contraception qu’aux techniques d’aides à la procréation. Quel est aujourd’hui l’accès réel aux technologies d’aides à la procréation notamment pour les personnes racisées et les minorités LGBTQI+ ?

·         Les technologies de reproduction telles que les échographies ou les diagnostics préimplantatoires se sont développées depuis les années 1980 et ont permis de grands progrès en termes de dépistage en santé maternelle et néonatale. Néanmoins, leur usage a aussi été détourné pour faciliter le recours à la sélection sexuelle prénatale et à l’élimination de fœtus féminins à l’échelle populationnelle dans certains pays (Bongaarts et Guilmoto, 2015). Comment prendre en compte ce risque tout en assurant le développement et l’accès aux technologies améliorant les droits reproductifs pour toutes et tous ?

·         Le mouvement #metoo a eu pour effet de révéler au grand public l’ampleur des violences de genre. Alors que le PAC mettait l’accent sur l’égalité entre les sexes, quelle est aujourd’hui la réelle place accordée à la lutte contre ces violences dans les politiques de santé sexuelle et reproductive ?

·         Le PAC, en mettant l’accent sur le développement de services en santé sexuelle et reproductive, n’envisageait pas de potentiels effets délétères pour la santé des femmes et des enfants, telle que l’épidémie de césariennes observée dans le monde (Betran et al., 2021 ; Ye et al., 2015). Plus généralement, se pose la question de la lutte contre les violences obstétricales et gynécologiques qui sont dénoncées depuis les années 2000 en Amérique latine, et depuis les années 2010 en France.

Tous ces aspects permettront in fine d’interroger le concept de « justice reproductive » (Ross et Solinger, 2019) davantage mobilisé aujourd’hui dans les recherches féministes pour mieux rendre compte des discriminations et violences à l’encontre des femmes minorisées et des minorités sexuelles.